Marie-Madeleine et Claude LEMASSON
"Le
souvenir de mon institutrice et de ma petite amie Claudinette
m'a
fait faire des recherches sur internet. Je sais donc maintenant qui
s'est occupé d'elles lorsqu'elles se sont
retrouvées
à la sortie de FRESNES. La sœur de
celui qui était
alors le Commandant FAYE, Mme LEMASSON, a
été
arrêtée par les allemands à
son domicile
à VAUFREGES, banlieue de MARSEILLE où
elle était institutrice. Elle a
été
arrêtée car elle était
soupçonnée
d'avoir aidé son frère à
s'évader de
prison (ce qui était vrai).
Les allemands étaient très corrects
avec elle
puisqu'ils l'ont autorisé à
faire prévenir ma mère pour lui confier
sa fille
Claude.
Elle a pu préparer quelques affaires pour elle et
sa fille ; en
faisant cela, elle a glissé à
ma mère des
documents que son frère lui avait confié : plan
de
débarquement, sceau aux armes, je crois, de
l'Angleterre et
un autre document. Je ne me rappelle plus de ce que
c'était.
Mme LEMASSON a écrit de FRESNES le 27 avril 1943
une lettre
au crayon. Il n'est question que de choses banales, bien entendu.
Ensuite, sa famille est venue chercher Claude que je n'ai plus jamais
vu. Les documents sont restés chez nous. Nous les
cachions
dans un buisson chaque fois que quelque chose nous semblait
dangereux. Ils étaient dans la maison lorsque deux
messieurs grands et blonds ont frappé à la porte.
Grosse
frayeur ! Ils nous ont demandé si on connaissait le
commandant
FAYE. À notre réponse
négative, ils ont
répliqué "Et Madeleine ?" C'était le
nom qui
était convenu. Ma mère a alors
répondu oui. [...] Ce
n'étaient certainement pas des parents de Mme LEMASSON car
ils auraient pris les
documents en même temps que la petite. Je pense
plutôt que c'étaient
des membres du réseau. Ils n'avaient comme adresse que celle
où mon père
travaillait : "les 100.000 chemises". Il a eu la même frayeur
que nous,
croyant que c'étaient des allemands. C'est lui qui les avait
envoyé à la
maison.
Mme LEMASSON et Claude devaient revenir. Mais il y a eu l'accident.
Nous
avons été prévenus puis plus
rien. Mr
René LEMASSON *, son mari arrêté dans
une rafle
à MARSEILLE, n'est jamais revenu non plus. Nous avons
su que le couple a pu se voir dans un train. Il
partait
certainement vers un camp de concentration.
C'est la famille de Mr LEMASSON qui est venue chercher la petite.
Personne n'était au courant des documents. Mes
parents ont su que c'est le colonel FAYE qui a
réussi à faire sortir sa sœur
de Fresnes. J'ignore
comment. Est-ce qu'il a pu apprendre que sa sœur et sa
nièce
avaient eu cet accident ? Et Mme LEMASSON était-elle au
courant
que son frère était condamné
à mort ? Ils
s'aimaient tellement !
Peut-être que ces souvenirs intéresseront
quelqu'un qui se rappelle de cette
époque. [...] J'espère qu'ils
ne vous aurons pas ennuyé. J'avais 15 ans
à l'époque ; j'en
ai aujourd'hui 78. Comme vous, je reste dans le souvenir de
cette émouvante
époque."
*
René LEMASSON,
Médaillé de la
Résistance,
né le 30 avril 1896 à ANGERS, était
employé
de commerce ; agent du P.C. "Grand hôtel" et beau
frère du
commandant FAYE, il a été
arrêté à MARSEILLE
en janvier 1943. Il devait faire partie de la deuxième
session des
condamnés du réseau à Fribourg ; il
est décédé le 9 décembre
1943 au camp de concentration de Buchenwald (Source
: "Mémorial de l'Alliance").
lettre
de Mme LEMASSON écrite à FRESNES le 27 avril 1943
"Envoyé en
mission pour ramener à PARIS des familles du
réseau (en particulier la sœur et la
nièce du colonel
FAYE "Aigle", ancien chef du réseau dont nous devions
apprendre
plus tard la mort en déportation), je pus aller jusque dans
ma
famille à CAHORS. Là j'appris que mon frère,
officier de goumiers, qui avait fait toutes les campagnes de la
Première Armée française depuis
l'Afrique du Nord,
avait été grièvement blessé
dans les Vosges
et se trouvait en hôpital à LYON.
Je partis de CAHORS avec mes parents qui désiraient aller le
voir à LYON et avec ma femme qui devait me suivre
à
PARIS. Je conduisis mes parents à CLERMONT-FERRAND
où je
les laissai pour prendre un train qui les conduirait au but
de
leur voyage. Puis je partis à LA BOURBOULE prendre les
personnes
que je devais conduire à PARIS avec Monique BONTINK
"Hermine".
Une seconde voiture conduite par mon ami Philippe BERNHEIM "Philippe"
prenait les bagages et une partie des voyageurs. Nous étions
dans ma voiture quatre grandes personnes et trois enfants.
C'est vers 22 heures par une nuit très noire, à
trois
kilomètres de MONTARGIS que se produisit l'accident terrible
qui devait coûter la vie à trois personnes
: ma femme, la sœur et la nièce du colonel FAYE.
Un camion non
éclairé stationnait sur la droite de la route. Le
chauffeur qui avait eu une panne d'éclairage ne l'avait pas
complètement rangé sur la droite et avait
abandonné son véhicule sans lumière
pour aller
à la recherche d'un garagiste. Je fus, au moment
où
j'approchais du camion, aveuglé par les phares d'une voiture
venant en sens inverse. Je ne vis pas le camion ; je me souviens
d'avoir été aveuglé, d'un
grand choc, puis
plus rien...
Je me réveillais quelques heures plus tard dans la salle
d'opération de l'hôpital de MONTARGIS. Je vis des
blessés autour de moi, j'entendis des
gémissements, puis
je perdis à nouveau connaissance.
Le lendemain vendredi, je me réveillais en bien mauvais
état dans un lit d'hôpital ; ma figure et mes bras
étaient couverts de plaies. J'en avais aux genoux, dans le
dos,
un peu partout, mais heureusement, je n'avais rien de cassé.
Les
plaies les plus graves étaient à la figure :
front,
arcade sourcilière, nez, joues et surtout une vilaine
entaille
à ma lèvre droite supérieure jusqu'au
nez et de la
lèvre inférieure jusqu'à l'oreille
droite. Je ne
sais combien de points de suture m'ont été
posés.
J'avais perdu beaucoup de sang et ma journée ne fut
pas très bonne.
Ce n'est que le samedi que l'on m'appris la nouvelle affreuse : trois
morts dont ma chère femme et "Hermine" blessée.
J'étais affreusement
désespéré.
Le
lundi, Marie-Madeleine FOURCADE "Hérisson" et mon ami
Georges
VALADE "Chiot" vinrent à l'enterrement et bien que je fus
loin d'être guéri, je voulus repartir à
PARIS avec
eux. Je voulais être repris entièrement par le
travail et
ne pas penser... L'idée de me croire responsable de la mort
de
trois personnes dont ma pauvre femme me rendait fou. Tout le monde le
compris et je fus si bien entouré, tous mes amis se
montrèrent si bons pour moi qu'ils enrobèrent ma
douleur d'un climat de douce sympathie qui, sans la rendre moins vive,
l'adoucit et la calma. Mon ami Guy CRESCENT "Ocapir" m'offrit
chez lui une hospitalité bienfaisante et salutaire. Je ne
remercierai jamais assez Marie-Madeleine, "Chiot", "Ocapir" et tous les
camarades de leur bonté à mon égard en
ces
circonstances douloureuses.
Le monde est petit dit-on et j'en eus la
révélation
quelques années plus tard lorsque par un hasard incroyable,
j'eus à MENDE au cours d'un repas, pour voisin de table,
l'automobiliste qui roulait derrière nous et qui assista
à l'accident. Il avait lui même
été
aveuglé par la voiture qui causa mon accident et que l'on ne
retrouva jamais. Il assista au drame, envoya chercher du secours et
sortit de ma voiture ce qu'il croyait être sept cadavres.
Pour en revenir à cette triste époque, l'affaire
passa en
jugement quelques mois après et le verdict qui donnait tous
les
torts au conducteur du camion allégea ma conscience de ce
sentiment terrible de ma responsabilité.
Je pus prendre mon fils René quelques jours avec moi
à
PARIS, il avait neuf ans et il souffrait tant de la mort de sa pauvre
mère et d'être séparé de
moi. Nous
vécûmes tous deux quinze jours inoubliables. Cet
enfant
qui avait reporté sur moi toute la tendresse de son jeune
âge, pour qui j'étais tout au monde, ne me
quittait jamais
et me donnait des preuves émouvantes d'attachement..."
actes de
décès
de Marie-Madeleine FAYE, Claude LEMASSON et Solange GIRARD
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